Je ne sais plus dans quelle langue écrire. En fait non, ce n’est pas vrai, c’est en français que
ça me vient d’écrire parce que ce n’est qu’en français que j’entends parler de
théâtre. Ici, on n’en parle pas _ou si peu. Me gustó, no me gustó, muy buena,
regular, la escenografía muy bonita, los actores buenos _o malos… y un largo
etc de misma calaña. Yo sonrío, una sonrisa algo bobalicona supongo alors que la langue me démange de
demander mais qu’est-ce que tu as vu? Qu’est-ce que ça t’a fait? Que pensais-tu
pendant le spectacle, que sentais-tu? Raconte…. Mais je me tais, bien sûr, à
quoi bon?
Ce soir, sur France Culture, une interview de Bruno Castelluci qui dit:
le théâtre, c’est une force.
Une force singulièrement émoussée ici. Comme un taureau dont les cornes
ont été rabotées. Et encore rabotées.
L’autre jour, dans une émission de critique de théâtre qui a lieu une
fois par semaine, d’abord, une radio qui consacre une heure par semaine à ne
parler que de théâtre, des gens qui y vont, qui vont voir les spectacles et qui
aiment à en parler, c’est déjà un évènement ! L’autre soir donc, ils débattaient de la énième mise en scène de Dom
Juan de Molière à la Comédie Française. Ça discutait dur, avec passion. Je me
disais qu’ici je n’ai entendu parler avec autant d’enthousiasme que de foot. Et
pourtant, il n’est question au théâtre ni de gagner ni de perdre, ni de défendre
des couleurs locales, nationales ou autres, ce n’est ni la victoire ni le
drapeau qui enflamment les coeurs et les esprits. C’est quoi, alors?
J’aime le théâtre parce que
c’est un art éphémère, qui n’est pas objectivable, on ne peut pas en faire un
objet, ni d’exposition ni de consommation. Le théâtre, ça se vit. C’est pour ça
que j’ai appelé mon local C’est la vie,
pas parce que ce qui se représente sur la scène es como la vida misma como dicen
de las telenovelas, bien sûr que non. Bien en amont de cette trivialité, c’est
parce que c’est la vie même, dans son mouvement, sa fluidité, ses manques et
ses faiblesses et aussi sa folie, sa beauté et surtout sa gratuité. La vie, ça
ne sert à rien et le théâtre non plus, À rien de monnayable, j’entends,
d’accumulable, de stockable. Ça vient et ça s’en va, ça commence et ça finit et
pourtant ça continue. Voilà.
Et puis le théâtre c’est
scandaleux. En soi. Peu importe la pièce, le texte, les mots; et peu importe
aussi la mise en scène, la tessiture dans laquelle on joue. Ce qui est
scandaleux, c’est que des gens osent manifestar clairement qu’on joue, qu’on
fait semblant et que c’est ce faire-semblant qui est la vérité même. La vérité
du théâtre et la vérité de la vie. Le théâtre, c’est la mise en scène, la mise
en évidence que le sujet _du savoir, de la connaissance, de la vérité_ ça
n’existe pas. Et c’est bien pourquoi, depuis Platon jusqu’à Heidegger, la
philosophie se méfie du théâtre quand elle ne le voue pas aux gémonies. De
concert avec l’Église, toutes les églises. Parce que le théâtre raconte
toujours et sans cesse, et quelle que soit sa forme, que l’être n’est pas une
donnée éternelle, la création d’un sujet tout-puissant, mais un agir immanent
et contingent. D’ailleurs, ceux là même qui font le théâtre, qui jouent, ne les
appelle-t-on pas des acteurs?